COURRIER
Date Lille le 25 juillet 2007
Destinataire

Monsieur Jean-Louis BORLOO, Ministre d'Etat, Ministre de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement Durables

              Monsieur le Ministre d'Etat,

       Le Cercle National du Recyclage est une association de collectivités locales née en 1995, qui est présente dans l’ensemble des groupes de travail relatif aux déchets que met en place le Ministère de l’Ecologie du Développement et de l’Aménagement durables.

Aussi, fort de notre expérience dans le domaine, et en l’absence de grenelle spécifique, je tenais à vous alerter de la dérive voire la déviance que subit la politique nationale de gestion des déchets.

       Depuis une dizaine d’année le Cercle National du Recyclage se bat pour que soit pris en compte dans l’élaboration de la politique de gestion des déchets, le principe de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP). Ce principe a été développé initialement par l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) désigne des dispositifs qui transfèrent la responsabilité en matière de gestion des déchets des collectivités locales vers les producteurs de biens qui sont devenus déchets. Il repose sur une logique d'internalisation des coûts. Des producteurs responsabilisés financièrement seront amenés à prendre en compte les coûts de la post-consommation lors de la conception de leurs produits. Ce coût de fin de vie étant entièrement à la charge financière et/ou matérielle du producteur.

       Application concrète du principe « pollueur-payeur », la Responsabilité Elargie du Producteur appliquée d’une manière intégrale et visible à tous les biens devenant déchets dont le producteur est identifiable, possède les atouts suivants :

  • elle incite les producteurs à la prévention et à l’éco-conception ;
  • elle sensibilise les consommateurs à acheter des produits dont l’élimination serait moins coûteuse et moins nocive pour l’environnement ;
  • elle résout l’épineux problème de la tarification proportionnelle à la production des déchets en amont, difficile à mettre en oeuvre en aval voir quasi impossible dans les habitats collectifs ;
  • elle recale le financement du service public « déchets » sur la base de « l’hygiène et la salubrité publique » calée sur la taxe d’habitation.

       La REP est, pour notre association, la solution la plus pertinente et la plus pragmatique à la problématique de la gestion des déchets.

       Cependant, en fonction des pressions issues du monde industriel et des orientations prises par les pouvoirs publics, ce principe subit de lourds ajustements qui font que le service public d’élimination des déchets obéit désormais aux prescriptions techniques et financières des sociétés privées.

       En France, une version allégée de la responsabilité élargie du producteur s’applique pour la totalité des filières telles que les piles usagées, les pneumatiques, déchets d’emballages, les déchets d'équipements électriques et électroniques…

       Concernant les piles et les pneumatiques, l’essentiel de la collecte se réalise via les circuits de la distribution. Les coûts de traitement sont pris en charge par la filière qui gère elle-même l’opérationnel. Les collectivités locales qui ont choisi d’organiser une collecte sélective doivent supporter une partie des coûts sans indemnisation. De plus, les déchets non collectés sélectivement, qui pourtant obéissent à ce principe et qui payent pour leur élimination, ne sont aucunement indemnisés aux collectivités locales qui en subissent la charge.

       Pour les déchets d’emballages ménagers, les sociétés agréées Eco-Emballages et Adelphe ont pris en charge, en 2006, 41 % des coûts d’élimination de ces déchets, le reste demeurant à la charge des collectivités locales et donc du contribuable. Dans ce cas, la Responsabilité Elargie du Producteur disparaît au détriment d’une notion de « partage des coûts » revendiquée par les sociétés agréées et qui montre déjà ses limites en terme de prévention. En effet, seuls quelques producteurs vertueux sur une base volontaire ont une réelle démarche d’éco-conception et de réduction de leurs emballages.

       La filière DEEE, quant à elle, prend le chemin d’une internalisation aboutie sur la seule part des déchets collectés sélectivement. La majorité des déchets (soit plus de 12 kg/hab./an sur un gisement global de 16 kg/hab./an) reste malheureusement ou faute de communication de la part des filières, encore éliminée avec les ordures ménagères et n’est pas prise en charge par les producteurs.

       D’autres filières, en cours de création, intègrent en théorie ce principe : c’est le cas des déchets d’imprimés non sollicités… Cependant, il semblerait que l’ombre du « partage des coûts » plane et limite, de fait, les soutiens versés aux collectivités locales. En vitesse de croisière, la filière ne prendrait en charge que 30 à 40 % des coûts totaux d’élimination de ces déchets.

       Depuis la mise en place de ces filières, les producteurs de biens se sont battus pour limiter leur financement. Dans un premier temps, ils ont essayé de prendre en charge une faible partie des coûts. C’est chose faite pour les déchets d’emballages. Désormais, comme l’Union Européenne est claire sur l’application de la responsabilité élargie des producteurs, ces derniers acceptent la prise en charge de la totalité des coûts des déchets mais uniquement ceux collectés sélectivement. Bien évidemment, un des moyens pour leur éviter de trop payer est de limiter les quantités collectées. C’est actuellement le cas des piles et accumulateurs usagés ; cela sera sûrement aussi celui des déchets d'équipements électriques et électroniques.

       Désormais, le principe de la REP n’est plus qu’une illusion vidée de toute substance. En effet, les filières qui se mettent en place devrait internaliser en amont les coûts globaux supportés en aval par les collectivités locales et les opérateurs d’élimination des déchets. Or, utilisant les déviances de ce principe, les producteurs de biens sont volontaires pour mettre en place une filière de traitement des déchets à la condition que cela ne leur coûte pas trop cher. Ils sont, en majorité, prêts à mobiliser un financement minime qui ne compensera jamais les coûts avals et cela moyennant certaines conditions.

          Ce volontariat permet aux producteurs de « verdir » leur image mais les autorise à faire peser les difficultés du démarrage des filières sur les collectivités locales qui ne souhaitent que faire appliquer en totalité ce principe. Ce n’est pas aux producteurs de biens de définir le coût de l’élimination des déchets issus des produits qu’ils ont mis sur le marché, mais c’est bien le coût de cette élimination qui doit être répercuté en totalité sur le producteur.

       De plus, en fonction des différents éléments en notre connaissance, il est avéré que la société anonyme de droit privé Eco-Emballages, société agréée pour les déchets d’emballages ménagers, soit omniprésente dans l’ensemble des réflexions et qu’elle soit devenu, pour de nombreuses personnes, la réelle instance décisionnaire en matière de déchets. En effet, l’absence de directive et de contrôle des pouvoirs publics a laissé l’opportunité à la société anonyme de droit privé de devenir l’interlocuteur national du service public des déchets en lieu et place de l’ADEME qui ne peut plus exercer correctement ses missions faute de budget.

       Il est temps pour les pouvoirs publics de reprendre en main cette problématique et de redonner un nouveau souffle à la politique nationale de gestion des déchets tout en définissant les objectifs d’une politique ambitieuse en appliquant concrètement et intégralement le principe de la REP et non de la laisser au main des industriels.

       Enfin, je me permets de vous faire parvenir le document intitulé «Pour une gestion durable des déchets » réalisé par le Cercle National du Recyclage qui liste plus de 300 propositions concrètes permettant d’aboutir à une véritable modernisation ambitieuse de la « politique déchets » en France.

       Espérant vous avoir convaincu de la nécessité d’une plus forte implication des pouvoirs publics dans la gestion des déchets, l’équipe permanente du Cercle National du Recyclage reste bien évidemment à votre disposition pour participer aux débats et défendra toujours l’intérêt de ses adhérents que sont les collectivités locales et leurs contribuables.

       Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre d’Etat, en l’expression de mes respectueuses salutations.

 

Paul DEFFONTAINE
Président
Maire de Willems
Vice-Président de
Lille Métropole Communauté Urbaine


 

Courrier également adressé à :
Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,Secrétaire d'Etat à l'Ecologie